Les tunneliers ou TBM (Tunnel Boring Machine) sont de véritables usines souterraines destinées à créer des tunnels en effectuant plusieurs opérations successives : abattage du terrain ; évacuation des déblais par différents moyens tel que convoyeur (bande transporteuse), marinage ; mise en place du soutènement (anneaux préfabriqués en béton: assemblage de voussoirs, béton projeté ou lorsque la résistance mécanique de la roche est suffisante on n’ajoute pas de matériaux de soutènement).
Durant toute la présentation nous allons parler du cas de la ligne D du métro de Lyon qui a été prolongée entre les années 1993 et 1995 de la gare de Vaise à la station Berthet en passant par la station Valmy. Nous utiliserons ce cas pour illustrer nos propos.
1. Fonctionnement d’un tunnelier
Un tunnelier se compose principalement des éléments suivants:
1. la roue de Coupe
2. la chambre de forage
3. l’érecteur de voussoir
4. le train suiveur

Dans le détail la tête du tunnelier est constituée des éléments décrits dans le schéma ci dessous.

Nous allons passer en revue les différents éléments.
1. La roue de coupe est fixée à l’avant du tunnelier, elle assure le forage et l’excavation, même dans des roches très dures. Elle tourne et exerce un forte pression sur la roche pour la briser grâce aux molettes de coupes et aux pics de tungstène (métal très dur). Ensuite, les roches brisées passent derrière la roue de coupe par les ouvertures et arrivent dans la chambre d’excavation. Il existe de très nombreux types de roue adaptés aux différentes roches; pour cela, elles ont des outils différents.

2. La chambre de forage (ou d’excavation) est située à l’avant du tunnelier, et immédiatement derrière la roue de coupe. Elle s’adapte à la diversité des terrains, meubles ou durs, avec ou sans pression d’eau, et offre un accès aux ouvriers pour nettoyer ou changer les outils de coupe.
Toutefois compte tenu du danger potentiel (écroulement, arrivées d’eau, ..), les ouvriers n’interviennent dans la chambre d’excavation que très rarement et avec beaucoup de précautions suivant des protocoles très stricts.

3. Le bouclier: il s’agit du cylindre métallique qui supporte la roue de coupe, les moyens d’extractions et garantit la protection et l’étanchéité du travail d’excavation sur le front de taille. L’étanchéité est en particulier garantie par une « jupe » sous laquelle sont mis en place les voussoirs composant le revêtement du tunnel. Voir schéma ci dessus.
4. Le train suiveur : Situé à l’arrière du tunnelier, il permet notamment d’approvisionner le tunnelier en voussoirs et d’évacuer les décombres de roches. Certains peuvent s’étendre sur plusieurs centaines de mètres.Voir schéma ci dessus.
5. La vis d’extraction : Elle permet d’extraire les déblais, en les remontant jusqu’au convoyeur à bandes qui les évacue à l’arrière du tunnelier.

6. Erecteur de voussoirs : Les voussoirs sont des éléments en béton préfabriqué qui une fois assemblés forment un anneau. Leur forme est un arc de cercle. Ils servent à soutenir la roche lorsque ses caractéristiques mécaniques ne permettent pas d’assurer la stabilité du tunnel. Ils composent la paroi de tunnel après le percement. Le tunnelier assure la pause des voussoirs grâce à un érecteur de voussoir situé dans le bouclier. Un injecteur de mortier situé après la jupe permet de remplir le vide laissé par le bouclier lors de son avancement. Le tunnelier avance tout en pausant les voussoirs et est approvisionné par le train suiveur.
Bilan : Le tunnelier avance en brisant la roches devant lui (front de taille ou d’abattage) avec la roue de coupe. les décombres passent ensuite derrière le roue et se retrouvent dans la chambre d’excavation d’où ils sont extraits pas la vis d’extraction. Celle-ci les conduit dans le train suiveur afin être rejetés. En même temps les érecteurs de voussoirs placés à l’extrémité de la cloison étanche (bouclier) fabriquent les parois du tunnels. Un tunnelier avance dans le terrain telle une chenille : le creusement est coordonné à la poussée sur les vérins. Ceux-ci s’appuyant sur le dernier anneau de voussoirs posé, il faut avancer suffisamment pour pouvoir dégager l’espace nécessaire à l’assemblage des nouveaux voussoirs. Durant la pose des voussoirs, le creusement est bien entendu arrêté. Avec ce système, on peut atteindre des cadences journalières records : jusqu’à 18 mètres par jour !
Il existe de nombreuses techniques de forages différentes adaptées aux situations. Lorsque le forage se fait dans une roche meuble ou aquifère il est essentiel de maintenir une pression suffisante au niveau du front de taille pour éviter un brusque déplacement de roche et ainsi créer un tassement de terrain en surface. Ce qui est inenvisageable sous un milieu urbain tel que la ville de Lyon (notre cas d’étude). C’est pourquoi il existe différents moyens pour maintenir cette pression.
2. Deux grand types de tunneliers
il existe deux grandes classes de tunneliers se distinguant par leur bouclier (parois extérieur du tunnelier) : les boucliers à front libre (ou ouvert) et les boucliers à front pressurisé.
a. Les boucliers à front ouvert
Ces boucliers ne possèdent pas de système de stabilisation du front de taille, ils ne peuvent donc être utilisés que pour le creusement en roche solide de bonne tenue, roche massive ou sédimentaire dont la cohésion est suffisante. Étant ouvert il est ne peut être utilisé avec un quelconque système de maintient de pression. Il faut être sûr des conditions géologiques qui seront rencontrées. De la même manière ce type de bouclier ne permet pas de travailler sous le niveau de la nappe phréatique.
Ce type de bouclier a donc très vite été écarté pour notre cas d’étude. En effet le tunnel du prolongement de la ligne de métro passe en grande majorité dans les alluvions du Rhône de cohésion assez faible.
b. Les boucliers à front pressurisé
Ces boucliers sont utilisés lorsque le front de taille n’est pas stable (terrain meuble), ou est situé dans la nappe phréatique (zone aquifère). Leur particularité est en effet de permettre d’exercer une pression stabilisatrice sur le front de taille. Cette stabilisation peut être assurée par une pression de terre, une pression d’air (air comprimé) ou une pression de fluide (boue bentonitique). Quel que soit le mode de pression, il doit être parfaitement maîtrisé : une perte de pression dans la chambre d’excavation peut entraîner des tassements de surface conséquents et tout à fait inadmissibles en zone urbaine. Ces tassements peuvent se manifester instantanément ou de manière différée.
Ce genre de bouclier a donc été choisi pour notre cas d’étude.
Le bouclier à pression de terre : Le principe est de maintenir la pression derrière le roue de coupe en utilisant la roche abattue. Cependant cette technique ne permet pas de répartir la pression de façon homogène à cause de la formation d’amas de terre plus compactes. Ce type de bouclier peut être efficace uniquement dans un terrain homogène. Donc cette technique est très rarement utilisée car, en l’état actuel de sa technologie, il ne permet pas d’assurer une protection sûre contre les éboulements et les tassements.
Ce type de bouclier a donc été écarté pour notre cas d’étude car il n’est pas adapté aux terrains hétérogènes. On ne pouvait pas se permettre le moindre tassement de terrain car il aurait de lourdes répercussions sur les bâtiments étant en milieu urbain.
Le bouclier à pression d’air : Au fur et à mesure des utilisations on s’aperçoit que la pression d’air comprimé reste délicate en terrain de faible cohésion (sables et graviers) et de perméabilité supérieure à 10e-5 m/s. En effet, dans de tels terrains, on constate de nombreuses fuites d’air engendrant des chutes de pression telles qu’il devient très difficile de gérer et maîtriser correctement la contre-pression indispensable au front. De plus, la pression exercée par l’air sur le terrain est uniforme alors que la pression dans le terrain augmente avec la profondeur (fig. 1). En partie haute du front de taille, la pression d’air est donc supérieure à la pression du sol, ce qui reste très délicat à gérer. Il est nécessaire de préciser que même dans des conditions favorables, on hésite à utiliser ce type de bouclier car il a été prouvé que des fuites d’air dans le terrain augmentent la pression dans les interstices de la roche, qui en se dissipant ensuite lentement, provoquent des tassements à long terme en surface.
Ce type de bouclier a donc été écarté du fait de la très forte perméabilité de certaines couches de terrain traversées, puisque l’on peut atteindre 10e-3 m/s dans les alluvions sablo-graveleuses.

Le bouclier à pression de boue bentonite : La bentonite est un argile très imperméable, on l’utilise dans un solution bentonite (eau et bentonite) qui a la capacité de ne pas s’infiltrer dans des roches meubles. Donc une suspension de boue bentonite mise en pression (de 20 à 30 kPa) dans la chambre d’extraction assure parfaitement la stabilisation du front de taille, même en terrain meuble et aquifère. Dans ce cas, les capteurs de pression baignant dans un fluide, les mesures sont beaucoup plus précises et on évite le problème de non répartition homogène de la pression sur le front de coupe et au sein de la chambre d’excavation. La mise en pression de la boue est réalisée de manière à contrebalancer les contraintes exercées en sens inverse par le terrain au niveau du front de taille. Du fait du poids propre de la boue, le diagramme de pression est de même forme que celui du terrain (fig. 2), et on ne rencontre plus les problèmes d’instabilité de la pression d’air.

Expérience : Il s’agit de verser de l’eau sur du sable sec, on voit ainsi que le sable se sature en eau très rapidement, alors que si on verse une boue bentonitique alors le sable reste sec avec une zone de transition appelée cake
De plus, la boue bentonitique présente trois grands avantages:
-Grâce à elle, ce type de bouclier est très efficace dans les terrains perméables. En effet, la boue bentonitique possède la propriété de former, en s’essorant au contact d’une paroi poreuse, une sorte de peau d’argile très peu perméable appelée « cake ». Si le terrain est très fin, il se forme un « cake membrane », sinon, un « cake imprégnation » sur une plus grande profondeur. Ce « cake », qui diminue donc localement la perméabilité du terrain, donne un point d’appui à la boue sous pression qui peut ainsi jouer pleinement son rôle de contre-pression, et améliore énormément la stabilité du front de taille.
-De plus, la bentonite en suspension dans l’eau reste dé-floculée durablement : elle ne décante pas et évite même la décantation des déblais qu’elle contient. Elle facilite ainsi le transport et l’évacuation des petits déblais jusqu’à la centrale de retraitement.
-Enfin, le «cake» formé par la la boue permet également de diminuer les frottements entre la jupe du tunnelier le terrain.
Compte tenu de ces nombreux avantages, c’est donc ce type de bouclier qui a finalement été retenu.
3. Différents tunneliers adaptés aux situations
Aujourd’hui, on peut utiliser les tunneliers dans tous les types de terrain. Mais la façon d’attaquer la roche n’est pas la même, suivant que l’on soit dans un granite sain ou un sable. Sans vouloir fixer des règles absolues, on peut répertorier la technologie de creusement avec le type de roche et les conditions hydrogéologiques:
– Roches dures : on pourra utiliser un tunnelier équipé de molettes, qui écrasent, fissurent et surtout « éclatent » la roche. Le front peut rester ouvert et après concassage (par passage dans un concasseur) l’évacuation des déblais sera réalisée, par un convoyeur à bande (tapis roulant). La Fig 3 illustre le fonctionnement d’un TBM roches dures. Donc pour progresser, le tunnelier ne peut pas s’appuyer sur les voussoirs (il n’y en a pas) donc il utilise des grippers (19). Ce sont des vérins de poussée qui s’appuient sur les parois du tunnel et qui font un ancrage par friction.
C’est absolument le contraire. Elle reste défloculée durablement.

Roches tendres : On utilisera un tunnelier équipé de molettes et de dents, ces dernières faisant office de couteaux cisaillant la roche. Le front sera généralement ouvert mais peut être fermé et légèrement pressurisé à l’air comprimé si des venues d’eau apparaissent. L’extraction des débris rocheux après concassage éventuel sera réalisé, par une vis d’extraction puis convoyeur à bande. Dans ce cas, le soutènement se fait avec des anneaux de voussoirs. Chacun d’eux compte 6 éléments de 35 cm d’épaisseur : 5 voussoirs (dont 3 standards et 2 contre-clefs), et une clef de voûte trapézoïdale (voussoir plus petit conçu pour constituer le clavage de l’anneau et dont la position sur l’anneau indique la position relative du tunnel). Donc la progression du TBN se fait par poussée des vérins (5) sur les derniers voussoirs du dernier anneau posé.
Sols pulvérulents ou fins : On utilisera un tunnelier équipé de dents, ces dernières faisant office de couteaux entraînant le sol. Cependant il faut une certaine pression pour assurer la stabilité du terrain, dans le cas de sables aquifères par exemple, on devra utiliser un tunnelier à pression de boue qui creuse dans une chambre d’abattage remplie de bentonite (Fig 4).Cette dernière assure un confinement uniforme et génère un «cake» sur quelques centimètres en avant du front, assurant l’intégrité et la tenue du terrain. En cas d’intervention sur la roue ou les outils de coupe, il faudra vider la boue et travailler en hyperbare (air comprimé). L’évacuation des déblais dans le cas des tunneliers à bentonite sera réalisée, après concassage éventuel (16), par pompage de la boue chargée (14). Celle-ci sera ensuite filtrée et traitée pour être ré-acheminée au front de taille (13). On parle alors de marinage hydraulique. Le soutènement s’effectue avec des anneaux de voussoirs de la même manière que le tunnelier pour roche tendres.
C’est donc ce genre de tunnelier ainsi que ce soutènement par voussoirs qui a été sélectionné pour le prolongement de la ligne D de Lyon.
Tout métro possède deux voies de circulation, une par sens. L’encombrement latéral d’une voie correspondant environ à 5 m, les deux voies auraient nécessité un tunnel de plus de 10 m de diamètre. Compte tenu du contexte géologique, et de la technologie du bouclier à pression de boue, il est apparu plus simple de creuser deux tunnels de faible diamètre. En effet, plus le diamètre est grand, plus le gradient de pression exercé par le terrain sur la roue de coupe varie entre ses extrémités supérieure et inférieure. Il devient alors difficile de gérer ce gradient de pression vertical. Par conséquent il a été décidé de creuser deux tunnels de diamètre 6,28 m. Le tunnelier mesurait 50m en comptant le train suiveur et le bouclier seulement mesurait 11m.
Zone aquifère : La traversée des zones aquifères, autrement dit des zones situées dans une nappe phréatique ou qui font l’objet d’une circulation d’eau (lits d’une rivière, failles, etc…), a toujours posé d’énormes problèmes. La difficulté est d’autant plus grande que les terrains sont presque toujours de nature sableuse ou terreuse, avec très peu de cohésion. Lorsqu’une zone aquifère est localisée, plusieurs solutions sont envisageables. Si le creusement se fait au tunnelier, l’excavation a lieu sous bouclier fermé. Une bonne étanchéité est à prévoir entre les voussoirs ainsi qu’entre voussoirs et bouclier. Dans les méthodes conventionnelles, selon le débit d’eau ainsi que la qualité du terrain traversé, il peut s’avérer necessaire:
– D’injecter le terrain pour en modifier les caractéristiques mécaniques afin de le rendre étanche lors du passage du tunnelier. On injecte habituellement du coulis de ciment dans la roche. Pour l’injecter on utilise des colonnes de jet-grouting. Ce sont des appareils qui enfoncent depuis la surface une grande tige dans la roche et qui projettent le coulis de ciment à très haute pression (400 bars) de-structurant la roche et la mélangeant au ciment. Apres durcissement du ciment on obtient un cylindre compact qui se comporte comme une roche dure tres peu perméable. Puis l’appareil avance pour injecter le coulis sur toute la zone aquifère. Cette technique permet de rendre le sol plus stable et plus étanche lors du passage du tunnelier.

– De congeler le terrain pour les mêmes raisons. Le glaçon de roche est étanche et très résistant. Deux techniques sont envisageables selon la configuration géologique et la durée du chantier : la congélation à l’azote liquide ou à la saumure. Dans tous les cas, la méthode consiste à faire circuler le fluide frigorifique dans la roche aquifère. Le front de glace se propage jusqu’à former un ensemble homogène. Pour la congélation avec de l’azote liquide, c’est le même principe que l’injection de coulis, donc avec des colonnes de jet-grouting. La congélation à la saumure consiste à imprégner la roche, depuis la surface, d’eau salée à -60°c pour la congeler. Ce processus est assez long et peut prendre parfois un an si la couche de roche à congeler est épaisse.
Lorsque les venues d’eau sont faibles ou limitées dans le temps, on se contentera bien souvent d’assurer un drainage correct.
Pour le cas du métro D de Lyon, de tels techniques n’ont pas été nécessaires car le tunnel ne passait pas dans des terrains de tres forte perméabilité et donc avec des venues d’eau limitées.
Définitions :
Perméabilité : la perméabilité d’une roche correspond à son aptitude à se laisser traverser par un fluide. Il se mesure par la distance parcourue par le fluide en un temps donné : en m/s
Pression : La pression sur la roue de coupe correspond à la force par unité de surface qu’exerce la roche sur celle-ci sous l’action de la poussée des verins du tunnelier. Cette pression n’est pas équirépartie sur la roue de coupe car les roches meubles, subissant l’attraction terrestre, exercent une pression plus importante sur le partie inférieure de la roue. Son unité dans le système international est le pascal (Pa), lequel correspond à une force de un newton par mètre carré.